En droit du travail, le harcèlement moral est caractérisé par des agissements répétés de qui ont pour objet ou effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité, d’altérer la santé physique ou mentale ou de compromettre l’avenir professionnel du salarié qui le subit (article L. 1152-1 c. trav.).
Progressivement la jurisprudence a identifié des formes spécifiques de harcèlement dans l’entreprise. La notion de harcèlement managérial a fait son apparition pour désigner des méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique se manifestant par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité, d’altérer la santé ou de compromettre l’avenir professionnel d’un nombre distinct et déterminé de salariés (cass. crim., 19 octobre 2021, n°20-87.164).
Plus récemment, dans une décision du 21 janvier 2025, la chambre criminelle de la Cour de cassation est venue consacrer la notion de harcèlement moral institutionnel et marquer à cette occasion un terme à l’affaire France Télécom ayant déjà fait couler beaucoup d’encre.
En 2004, l’entreprise France Télécom, devenue Orange, met en place un plan de restructuration projetant la suppression de 22 000 postes et un plan de mobilité interne visant 10 000 agents. Un climat délétère et de déstabilisation s’installe alors dans l’entreprise avec pour but de dégrader les conditions de travail des salariés et les pousser à la démission sans avoir à passer par la procédure de licenciement économique. Les propos tenus par l’ancien président-directeur général en 2007 indiquant qu’il ferait « les départs par la fenêtre ou par la porte » illustrent les objectifs des politiques internes mises en œuvre.
C’est dans ce climat qu’une vague de suicides et de tentatives de suicide eut lieu entre 2007 et 2009 dans l’entreprise. Une enquête fut ouverte pour harcèlement moral à la suite d’une plainte déposée par un syndicat et soutenue par l’inspection du travail. Le tribunal judiciaire de Paris reconnaitra plusieurs cadres dirigeants coupables de faits de harcèlement moral institutionnel, donnant une première définition du délit en 2019 (TGI Paris, 20 décembre 2019, Orange SA).
La Cour de cassation a confirmé la décision et précisé la notion dans son arrêt du 21 janvier 2025. Ainsi, sont constitutifs de harcèlement moral institutionnel « les agissements visant à arrêter et mettre en œuvre, en connaissance de cause, une politique d’entreprise qui a pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés aux fins de parvenir à une réduction des effectifs ou d’atteindre tout autre objectif, qu’il soit managérial, économique ou financier, ou qui a pour effet une telle dégradation, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de ces salariés d’altérer leur santé physique ou mentale, ou de compromettre leur avenir professionnel ».
Ainsi, ce que sanctionne cette nouvelle forme de harcèlement, sur le fondement de l’article 222-33-2 du code pénal, n’est pas la mises en œuvre de modalités visant à réorganiser à grande échelle l’entreprise pour améliorer sa compétitivité, dont l’initiative dépend des pouvoirs de direction de l’employeur, mais les méthodes utilisées au sein de l’ensemble de l’entreprise pour atteindre ces objectifs qui n’intègreraient pas suffisamment la dimension humaine.
Plusieurs caractéristiques des méthodes mises en œuvre dans une entreprise permettent d’identifier des faits qui seraient constitutifs d’un harcèlement moral institutionnel : la pression sur le suivi des effectifs à tous les niveaux hiérarchiques de l’entreprise, une indexation des rémunérations sur le nombre de départ, un conditionnement des managers à l’urgence de la déflation au cours de leurs formations. De même, dans l’affaire France Télécom, il a été tenu compte de l’expérience et de la conscience des prévenus des effets dramatiques de telles politiques.
Enfin, la Cour de cassation a également rappelé dans cette décision que l’interprétation de l’article 222-33-2 n’avait jamais exclu la dimension collective que peut avoir le harcèlement moral. Dès lors, même si la définition donnée du délit de harcèlement moral institutionnel est nouvelle, ce délit spécifique ne l’est pas et est considéré comme ayant toujours été compris dans la notion de harcèlement moral. Dès lors, des faits antérieurs à la décision du 21 janvier 2025 pourront être constitutifs de harcèlement moral institutionnel, sans qu’il ne s’agisse d’une rétroactivité de la loi pénale.
Cass. crim., 21 janvier 2025, n°22-87.145